Etude de cas : Freeletics, la tribu ou rien.
Freeletics en 5 chiffres, c’est :
- 45 millions d’euros de levée de fonds,
- 42 millions de clients,
- 7 ans d’existence,
- 3 co-fondateurs,
- 1 tribu.
V-E-R-T-I-G-I-N-E-U-X !
Freeletics est l’idée de Joshua Cornelius, Mehmet Yilmaz et Andrej Matijczak. Ces 3 étudiants ont développé une alternative aux équipements d’entraînement et aux abonnements aux salles de sport.
À l’origine, les 3 cofondateurs donnent des formations sportives dans des centres à Munich. Tout en fédérant une communauté sur Facebook et via une liste d’emailing, ils créent et vendent un ebook d’entraînement de 15 semaines. Ainsi, ils génèrent les fonds nécessaires pour développer l’application.
2013, l’appli Freeletics BodyWeight voit le jour, suivi d’une ligne de vêtements et d’accessoires en 2015. En 2016, 3 autres applis viennent clôturer l’écosystème “applicatif” : Freeletics Running, Freeletics Gym et Freeletics Nutrition.
La startup propose une expérience complète.

P.S : Les applis Freeletics Running et Gym ont fusionnés avec l’application Freeletics Bodyweight
Bref, la boite s’envole. Le sujet est sympa mais insuffisant pour expliquer cet envol.
Il doit certainement avoir plusieurs ingrédients dans la recette qui donne le ton. Lesquels sont-ils ?
J’analyse 4 facteurs clés de son succès :
- S’approprier une sous-culture pour se différencier
- La tribu : l’art de créer de l’engouement
- Les ambassadeurs pour animer votre marque
- La mythologie pour élever les pratiquants au niveau des Dieux
S’approprier une sous-culture pour se différencier
Qu’est-ce qu’une culture ?
Selon l’UNESCO : “la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »
Nous pouvons dire qu’une culture se constitue lorsqu’un groupe de personnes mène une existence ou pratique une activité en commun.
Les sous-cultures sont des structures sociales choisies délibérément et non imposées. Ces micro-cultures se définissent sur la base des activités de consommation et non sur un dénominateur social commun (âge, profession,…).
Le street workout : sous-culture du sport urbain ?
La culture du sport urbain se démocratise aux USA dans les années 60. Le reste du monde suit.
Le street workout, que l’on pourrait qualifier de sous-culture du sport urbain, s’inscrit dans une tradition sportive usuelle mais s’en distingue grâce à 2 valeurs fortes : la gratuité et la tribu.
Le sport de rue est facile d’accès, facile d’utilisation et gratuit.
Comme en témoigne cet article, l’accélération d’équipement sécurisé accentue la pratique. Nos villes regorgent d’installations récréatives.

Dans les années 2000, le Crossfit apparaît en France. Il fait des adeptes. De 13 boxes en 2005 à 14 000 en 2019, cette pratique sportive révolutionne le monde du fitness.

Son arrivée en Europe valide la mission de Freeletics : motiver ses clients à être et rester en forme grâce à des entraînements intenses de courte durée. Le “fitness différent” devient populaire, Freeletics en profite pour lancer son appli !
Les pratiquants de sport urbain (street workout, HIIT,…) ou de Crossfit ne se reconnaissent pas dans l’activité sportive en salle (musculation, fitness).
Contrairement à Freeletics, le Crossfit a deux contraintes :
- un coût relativement élevé
- la pratique obligatoire dans une box
- des créneaux d’entraînement à réserver en amont.
Les sportifs ne peuvent donc pas s’y adonner dès qu’ils le désirent.
Les adeptes de Freeletics cherchent la liberté : être libre dans leur pratique sportive tout en étant soutenu par une tribu.
Les activités de street workout sont le reflet de l’anti-conformisme des sports pratiqués et encadrés en clubs ou dans des salles.
Les individus, sensibles à cette proposition, ressentent le besoin de se distinguer des autres sportifs. La création d’un style Freeletics traduit ce besoin d’unicité et accélère l’abandon des services de sport “à la mode” : salle de sport, box crossfit,…
Au-delà des différences, les 2 sports ont une chose en commun : la tribu.
Au crossfit, lorsqu’un nouvel adhérent pénètre dans une “box”, il ressent le sens de la solidarité et de la famille. Il est accueilli et présenté aux autres sportifs. C’est une tribu qui encourage les débutants et aide de manière amicale. Les crossfiteurs se mettent au défi, se poussent dans leurs retranchements.
Lors d’une session intense, la tribu s’encourage pour éviter l’abandon. Les nouveaux membres sont incités à dépasser leur limite, à sortir de leur zone de confort.
La tribu pour créer de l’engouement
Le sens de la tribu : valeurs et symboles
Ce que nous consommons façonne notre identité.
Il existe un phénomène d’identification dans la tribu : les membres veulent se percevoir comme semblable aux autres du groupe d’appartenance.
Regardons l’attachement de la tribu à la marque : le cas Harley Davidson et Jeep.

Des événements réguliers se déroulent dans le but de favoriser la rencontre physique et de tisser des liens avec la marque. C’est la notion de brandfest.
JEEP joue aussi sur ce levier pour fédérer les passionnés de voiture : le Club JEEP.

Les passionnés de voiture (Jeep) ou de moto (Harley-Davidson) partagent des valeurs et des normes. Le groupe se différencie du reste de la société sur la base de goût commun relevant d’une activité de consommation : la conduite de moto ou de 4×4.
Rouler en Harley-Davidson ou en Jeep, c’est un état d’esprit propre aux membres de la communauté. C’est autour de ces univers que les aficionados se soudent. Les membres les plus engagés deviennent un pôle de diffusion d’informations sur la marque et ses services.
C’est le concept de bouche à oreille.
Quelle similarité avec Freeletics ?
La tribu Freeletics est un regroupement d’individus différents qui partagent des expériences sportives, des émotions, des représentations physiques, un langage propre et des symboles.
Les membres sont reliés les uns aux autres de façon :
- virtuelle (se retrouver sur les réseaux sociaux) : les groupes Facebook pour éviter la solitude des athlètes, être encouragé, échanger,
- physique (se rencontrer) : les entraînements en groupe soudent les membres,
- symbolique (avoir des croyances communes) : sortir de sa zone de confort grâce à l’activité physique, perdre du poids grâce à un programme intense.
Des groupes d’athlètes Freeletics, il en existe beaucoup.
Tout autour du globe, les membres se retrouvent dans les parcs et les espaces sportifs adaptés pour faire leurs entraînements ensemble.
Ils se poussent les uns les autres pour ne pas abandonner.
Ils participent à une expérience intense et vivent des émotions ensemble : ils se connectent affectivement.
Ils partagent un idéal philosophique : Devenir une meilleure version d’eux-mêmes.
Ces groupes sont une réelle source de motivation pour les débutants. Tous les ingrédients sont réunis pour créer une relation triangulaire profonde, sincère et authentique entre les membres de la tribu et entre l’individu et la marque.
La géolocalisation sur l’appli incite les utilisateurs à vivre des expériences physiques collectives in real life avec d’autres membres.
Ce mix online – offline fortifie la valeur d’usage de l’appli, et, renforce la proximité entre les pratiquants et la marque.
Le lien, c’est mieux que le « bien » !
L’appli Freeletics apporte une valeur de lien, en reliant les membres à la tribu des athlètes libres.
Le flux d’informations présent dans l’application, permet de suivre ses amis et de voir leur dernière activité et performance. Les athlètes peuvent encourager et commenter. Le “clap-clap” est identique au bouton “like” de Facebook. C’est un signe d’appréciation propre à la communauté.
L’application soutient la création, le développement et le maintien des liens entre les membres de la Tribu Freeletics.
Mais pour qu’une tribu fonctionne, elle doit partager des éléments culturels :
- Langage et termes associés à la pratique Freeletics
- Rites initiatiques des athlètes
- Connaissance des mouvements de base
Le langage des Athlètes Libres
Une tribu soudée, se distingue des autres notamment à-travers son langage.
Le WOD (workout of the day), c’est l’entraînement du jour. Il se compose de mouvements dont les appellations sont communes au crossfit et à la musculation (toes-to-bar, pull-up, push-up,…).
Le PB (Personal Best), c’est le record personnel des membres sur un wod ou sur un nombre de répétition d’un même mouvement.
Les programmes s’étalent entre 6 semaines et 12 semaines. La dernière semaine s’appelle la Hell week. Elle consiste à faire un wod quotidien durant 7 jours. L’objectif de ce rite : donner le maximum d’intensité pour évaluer sa progression.
Les FA sont les Free Athlètes, les pratiquants Freeletics.
Comme le souligne Jackie Huba dans son livre “Monster Loyalty : How Lady Gaga Turns Followers into Fanatics” :
“Naming customers gives them an identity that is connected to you. It gives them a way to refer to one another as being in a sort of club or inner circle.”
Les individus n’aiment pas se fondre dans la masse. Avec Freeletics, ils cherchent à se distinguer des autres sportifs “fitness et muscu”. Cette différence est valorisante pour eux, et valorisée par la marque.
Par exemple, en donnant un nom aux athlètes, la marque accentue ce sentiment d’appartenance, de club privé. Le rite “Hell week” achève le parcours initiatique de l’athlète. Et la startup célèbre les étapes importantes dans le processus de changement : ce sont les portraits de pratiquants.
Les athlètes Freeletics partagent un vocabulaire propre à la tribu, ils s’approprient le langage de la société.
Mais quelle est la principale difficulté dans la pratique sportive ? La motivation. Freeletics le sait.
Le <code> de la motivation selon Freeletics
Et si la motivation était un jeu ?
Chaque entraînement offre des points qui s’accumulent pour le classement de l’athlète. Ce système de gamification accroît la détermination des membres.
Levier de comparaison entre les athlètes, excellent moteur de compétition, les sportifs sont aussi des combattants envers eux-mêmes.
La stratégie de contenu alimente la motivation
Entre les newsletters incitatives et les articles de blog stimulants, la startup couvre sa philosophie éditoriale.
En effet, tout l’environnement “contenu” décline le territoire culturel de la marque :
- Les transformations qui sont des preuves produit
- Les récits et les exploits d’athlètes devenus chevronnés (les inspirations)
- Des sportifs connus qui livrent leur secret d’entraînement (les arguments d’autorité)
- Les podcasts qui sont orientés développement personnel (l’écosystème du bien-être)
- Les discussions dans les groupes Facebook qui montrent l’implication des pratiquants
- Les défis sur le blog : 10 millions de burpees en 10 jours, la Saint Valentin sportive,…

Les ambassadeurs pour animer la marque
La startup ne peut pas ou difficilement influer sur les normes et valeurs de sa communauté. En revanche, elle peut s’appuyer sur des membres clés connus et respectés des autres pour influencer la communauté.
Les ambassadeurs sont naturels et légitimes. Ce sont des pratiquants experts, avec une réelle connaissance des produits Freeletics.
La démarche pro-active des ambassadeurs engendrent un engagement moral de fidélité des membres de la communauté. En effet, les individus ont tendance à être plus fidèle à d’autres personnes qu’à une marque inerte.
Les ambassadeurs œuvrent à l’activité communautaire et participent à la création de valeur pour l’expérience des membres. Ils organisent des événements où les pratiquants peuvent se rencontrer et faire du sport ensemble.

Les groupes (de taille raisonnable) facilitent la récupération de feedbacks qualitatifs. Les fans s’expriment plus facilement en petit comité. En laissant la communication ouverte, la startup accroît son intimité avec les membres.
Les ambassadeurs sont un complément SAV auprès des membres utilisateurs. Ils répondent à leurs interrogations et donnent des conseils. Convaincus de leur mission, ils aident la tribu.
Cette tribu est soudée par des valeurs communes solidement partagées : liberté de pratique sportive, désir de transformation physique et mentale, volonté de dépassement,…
Ces valeurs sont vécues avec la même intensité qu’un engagement religieux et les sportifs les plus enthousiastes s’attribuent fréquemment un rôle de missionnaire.

Les ambassadeurs évangélisent les non-initiés en communiquant leur passion. Pour gagner le cœur des indécis, la transparence “Je suis en collaboration avec Freeletics…” est essentielle pour faire comprendre comment la startup essaie d’améliorer leur vie.

Ils servent de canal de communication pour propager l’univers de la startup.

Ils obtiennent des informations de première main pour répondre aux questions des membres de la tribu.

Les groupes Facebook font remonter à la startup des informations issues directement des utilisateurs. Elle garde un pied dans le terrain.


Freeletics utilise sa communauté pour faire du “test and learn” ou identifier les besoins et attentes spécifiques de sa communauté.

Les groupes Facebook servent à repérer les signaux faibles souvent difficiles à observer. C’est aussi un moyen efficace pour suivre les évolutions du marché et les attentes des clients.
Sur la plateforme Quora, Juliana M. décrit le bénéfice d’être ambassadrice.
Selon elle, c’est “un honneur et une fierté de servir la communauté”. Elle vit le “style Freeletics” comme une démarche profonde. Son implication est émotionnelle et son engagement vis-à-vis de la communauté authentique.
En ayant ce rôle privilégié, les ambassadeurs voient leur prestige renforcé au sein de la tribu.
Ils sont au cœur des enjeux de la startup. Deux principaux avantages concurrentiels :
- contrôler la fidélité des membres en temps réel.
- inscrire sa relation avec les membres sur du long terme.
Ambassadeurs et membres engagés diffusent le discours de marque (mantra) et le discours communautaire (affichage des rites, encouragement, usage du vocabulaire,…).
Dans cet article, la startup reconnaît “la contribution” et “le dévouement” des ambassadeurs dans son succès. L’entreprise cherche donc à accentuer le sentiment d’appartenance ; non pas grâce aux produits mais plutôt via ses ambassadeurs.
La mythologie grecque pour élever les pratiquants au niveau des Dieux
Le désir comme point d’entrée
Le désir est d’abord manque.
Dans son livre Le Banquet, Platon dit que :
“Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour”.
Ainsi, on désire ce qu’on n’a pas.
Les membres de la tribu Freeletics désirent un changement profond, radical dans leur vie. Qu’il soit physique ou mental, les fans ont l’impression de manquer de quelque chose.
Plus qu’un athlète, un héros !
À-travers son parcours initiatique, l’athlète fait preuve d’une forte motivation et d’une réelle implication pour répondre à son objectif personnel. On devient un athlète libre progressivement.
Sortir de sa zone de confort demande un effort régulier et une motivation hors pair, l’athlète a donc besoin d’être stimulé (les défis, la tribu,…).
La difficulté des entraînements évolue selon le niveau de l’athlète. Une marche après l’autre, l’athlète atteint le sanctuaire des Dieux.
Le mantra de Freeletics se fonde sur une aspiration individuelle : vous poussez à devenir une meilleure version de vous-mêmes.
Ce mantra a une connotation « presque » religieuse.
Et quel imaginaire peut aider le pratiquant à devenir un héros ? La mythologie.
Dans la mythologie grecque, les héros ont un parent mortel et l’autre divin.
Les athlètes Freeletics sont plus que des humains, ce sont des demi-dieux prêts à affronter les dieux les plus sombres.

Pour y parvenir, l’effort doit être intense. C’est un acharnement qui ne peut qu’être guidé par une motivation et une détermination divines. Le combat de chaque athlète est de devenir un héros en affrontant les dieux sur leur propre terrain de jeu.

Nous sommes dans l’inconscient des héros qui affrontent la difficulté suprême, celle des cieux. Cette volonté d’affronter les divinités pour atteindre la perfection. L’athlète recherche ces moments où il va se surpasser et rentrer dans la légende.
Concrètement, ce sont les bénéfices hédoniques qui l’intéressent. Et donc la dimension symbolique et esthétique de la consommation va l’interpeller.
Ainsi, Freeletics communiquent sur les corps musclés (esthétique) de ces athlètes en les présentant comme des gladiateurs (symbolique).
Les visuels sont uniquement inspirationnels et apportent leur lot de fantasmes et d’états affectifs forts.

Les post sur les réseaux sociaux affichent des athlètes dans l’effort. On pourrait les accompagner d’un #nopainnogain 😉


Dans tous les cas : Donnez tout ce que vous avez, ça en vaut la peine !
Quels sont les ingrédients du succès de Freeletics ?
C’est la startup de fitness tribale par excellence. Son appli est un véritable créateur de lien entre les membres de la tribu. Elle a une véritable valeur d’usage. C’est sûrement un des arguments les plus forts pour rassembler une communauté.
Le produit a été construit autour d’elle. La startup n’a jamais construit de communauté autour de ses services. Car peut-on réellement construire une communauté ?
Elle a compris très rapidement qu’il était possible de fédérer une tribu autour d’un mantra, de valeurs et de symboles.
En se reposant sur la « sous-culture » du sport urbain, elle a réussi à trouver un public peu conformiste et en rupture avec la pratique du sport en salle.
En mettant en place ses codes (langage, valeur, symbole, rite), la startup valorise le sentiment d’appartenance et donne une impression d’exclusivité.
Sur les groupes Facebook, les membres les plus engagés aident Freeletics dans sa stratégie de mise au point et de diffusion d’innovation. Cela fonctionne s’ils correspondent aux critères des “lead users”. Les associer à la stratégie de l’entreprise est aussi un gage d’ouverture et de compréhension client.
👏👏
Je retourne faire un wod pour battre mon PB 🏋️♂️
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