Etude de cas : Matera, une start-up de la PropTech.
Tout le monde en a entendu parler. Cette start-up a provoqué un tollé dans le milieu de la gestion immobilière. C’était en mars 2020.
Au-delà de cette campagne, Matera connaît un succès certain dans son créneau (Co-ownership Association). Elle éclipse ses concurrents directs (les startups) et énerve les syndics de copro traditionnels.
Spécialisée dans la gestion des copropriétés, Matera a développé une plateforme de service en ligne (Saas) pour aider les propriétaires à s’émanciper des syndics traditionnels. Basé sur le modèle du syndicat coopératif, elle permet aux utilisateurs de gérer leur copropriété en ligne sans intermédiaire.
Si on ne peut mesurer le succès d’une startup uniquement sur les montants des levées de fond, ces chiffres restent un indicateur fiable de réussite. Une première levée de 1,5M€, en 2018, pour lancer le projet puis une 2ème de 10M€, en 2020, pour conquérir l’Europe. Le challenger est loin derrière, à 3M€.
Bref, la boite déboite. Pourtant, le sujet n’est pas sexy.
Il doit certainement avoir plusieurs ingrédients dans la recette qui donne le ton. Lesquels sont-ils ?
Je vais en détailler 4 :
- L’insatisfaction : le moteur de la start-up,
- La stratégie de la preuve sociale,
- La simplicité pour communiquer sur l’essentiel,
- La controverse pour attirer l’attention.
L’insatisfaction : le moteur de Matera
De façon générale, les copropriétaires se disent insatisfaits de leur syndic. D’après cet article des Echos, ils revendiquent un manque de suivi et de réactivité de leur syndic.
En s’appuyant sur ce constat, Matera va se positionner en tant qu’alternative au syndic traditionnel.
La page d’accueil du site se présente sous la forme : Promesse / Problème / Solution. Un storytelling efficace pour persuader de sa valeur ajoutée.
Regardons de plus près la partie Problème. Nous retrouvons les 3 principaux griefs des copropriétaires :
le manque de réactivité, de transparence et les coûts élevés.
La marque cherche à résoudre ces insatisfactions en apportant “Une gestion transparente”, “Des économies”, “De la réactivité”.
Un business qui répond à de vraies douleurs, c’est déjà un bon point. Mais cela ne suffit pas à décrire le succès de la start-up.
Il convient de noter que Matera n’a pas besoin de prendre la parole pour défendre son point de vue. Ce sont les insatisfaits qui s’en occupent.
Et qu’ont-ils en commun ? Ils partagent une part de vérité.
En effet, nous avons tous entendu un proche se plaindre de son syndic de copropriété. C’est devenu un running gag. Vous n’êtes pas convaincu ? Regardez les avis Google pour le constater :
“Ils surfacturent certaines prestations, notamment les frais de ménage dans ma copro, facturent des lettres de relance a 20€ illégalement sans mise en demeure, ne suivent pas les travaux réalisés dans la copro bref une cata !!”
“A fuir par tous les moyens. Ils ne répondent jamais aux emails, un service inexistant, les propriétaires se retrouvent à faire le travail du syndicat. A se demander où vont nos charges.”
“Pour évaluer ce syndic il faudrait des étoiles « négatives ». Ma résidence est gérée par ces gens, que je me refuse à nommer « Syndic ». Incompétents, maladroits, mal-aimables et malhonnêtes sont les premiers qualificatifs qui me viennent en tête à propos d’eux.”
Les exemples pullulent sur la toile.
Je tiens à préciser qu’en aucun cas, je jette le discrédit sur une fonction difficile. Comme dans tout domaine, il y a ceux qui font leur métier correctement et les autres.
La stratégie de preuve sociale comme arme Marketing
Une stratégie de preuve sociale est efficace lorsque le produit répond à un véritable besoin. Matera résout un problème existant, basé sur une part de vérité partagée. Ce qui renforce sa légitimité auprès de ses clients.
J’aborderai plus loin cette notion de vérité et de son usage en marketing.
La preuve sociale fonctionne si le produit plaît. Un service attractif et désirable, qui répond à la promesse, attire des clients. Ils doivent l’aimer suffisamment pour le recommander. De ce côté, ça fonctionne bien :
La marque connaît le poids des témoignages sur le web.
Lorsqu’un utilisateur est satisfait des services, et le dit, Matera l’incite à laisser un avis sur Google.
Elle favorise cette boucle vertueuse : plus les gens en parlent (et en bien), plus les autres seront attirés. Ainsi la marque gagne des ambassadeurs sans dépenser un euro.
Dans son livre Influence et Manipulation, Robert Cialdini explique :
“Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque chose, nous comprenons que c’est la meilleure chose à faire.”
Les recommandations sur Google se basent sur ce principe.
En effet, nous déterminons ce qui est bien pour nous en découvrant ce que d’autres en pensent. Peu importe le produit ou le service que nous voulons acheter, nous avons le même réflexe : le googliser et lire les avis.
La preuve sociale est le meilleur moyen pour les futurs utilisateurs d’apprendre pourquoi le produit est génial et de rappeler aux utilisateurs existants pourquoi ils ont fait un choix judicieux. Les témoignages présents sur le site servent à cette finalité.
On cherche tous à appartenir à une tribu et à en être fier. Choisir la communauté Matera, c’est savoir quelque chose que les autres ne savent pas, que nous ne savons pas.
Lorsque des copropriétaires désirent changer de syndics, ils font face à une réelle incertitude. Et c’est un appui puissant pour la preuve sociale. Les individus incertains se guident sur les actions d’autrui.
Nous accordons plus de crédit aux comportements d’individus qui nous sont semblables, qui ont traversé des périodes de réflexion proche des nôtres.
Dans le cas de Matera, les individus déterminent le comportement à suivre d’après les actes d’autres personnes dans la même situation : l’insatisfaction des syndics de copropriété.
Vous persuadez plus par les actions que par les arguments.
Mettre en avant les actions des uns favorise la prise de décision des autres. Les testimoniaux relatent le parcours de réflexion des utilisateurs, ceux qui sont passés à l’acte.
Le format vidéo est plus puissant que de simples témoignages rédigés. Le doute peut être de mise lorsque les testimoniaux sont écrits. Les internautes ne sont pas dupes.
Mais, la vidéo rassure et met une voix sur des retours d’expérience. Dans ce cas, les contester devient plus difficile.
Chaque argument sur le site est accompagné d’une phrase tirée des vidéos. Le but est de renforcer la crédibilité de la marque et de son service.
J’ai analysé un autre levier d’influence sociale : les médias.
Le message est clair, identique sur l’ensemble des prises de parole médiatiques. Son unicité le rend vrai, par répétition, il devient vérité.
On dit qu’un orateur qui veut séduire une foule doit abuser d’affirmations tranchées. Adapté au monde économique, un entrepreneur qui veut séduire une cible doit utiliser des affirmations “émotionnelles” (sans les argumenter).
Dans Psychologie des foules, Gustave le Bon écrit :
“Exagérer, affirmer, répéter, et ne jamais tenter de rien démontrer par un raisonnement, sont des procédés d’argumentation bien connus des orateurs des réunions populaires.”
En septembre 2019, Le Parisien consacrait un article à la start-up.
La preuve sociale est encore au cœur de la prise de parole. Matera ne met pas son produit en avant. Ce sont les ex-insatisfaits devenus utilisateurs qui en exposent les bénéfices.
C’est un marketing bien huilé qui fonctionne à merveille.
Être simple et direct : communiquer sur l’essentiel.
Avec un design léché, un parti-pris de communication fort, une simplicité dans les mots et un storytelling efficace, l’entreprise se distingue dans le paysage.
Fini l’époque des explications complexes, des argumentations à rallonge, la marque fait le pari de la clarté en simplifiant son message. Résultat : elle truste la première place dans son créneau.
A vouloir en dire trop, on finit par ne plus rien dire.
Dans un monde d’infobésité, le surplus d’informations est un risque pour toute marque. Dans ce papier, Sune Lehmann, chercheur à l’université technique du Danemark, souligne que “comprendre en profondeur un problème complexe est devenu quelque chose de difficile et d’un peu ennuyeux”. L’attention est une vraie bataille, et pour la gagner, il vaut mieux viser l’essentiel.
L’internaute est sollicité, pressé, il doit comprendre votre proposition en quelques secondes. Matera donne les éléments suffisants pour faciliter la compréhension de son service.
Limiter l’abondance d’informations, c’est éviter le paradoxe du choix : plus l’utilisateur a d’infos, moins ces décisions sont pertinentes et satisfaisantes. La start-up élimine le superflu et se concentre sur l’essentiel. Pas de place pour la fioriture, c’est du direct !
Pour en savoir plus sur le paradoxe du choix, Barry Schwartz détaille ce principe dans cette vidéo TED.
L’accroche est simple, percutante et parle à tout copropriétaire. La promesse de la marque est incarnée par la “révolution” : les copropriétaires doivent reprendre le pouvoir laissé entre les mains des syndics.
Avec Matera, vous êtes libres de gérer votre copropriété, ce qui vous permet de réaliser des économies et de gagner en réactivité sur des sollicitations.
En misant sur la liberté de l’individu, la marque ne met aucune pression sur ses prospects. Elle devient une alternative qui gagne en attractivité.
Matera ne force pas l’engagement, se protégeant d’un mécanisme de défense psychologique de ses clients.
Dans son livre Comportements du consommateur, Denis Darpy dit que :
“Plus la perception de l’engagement augmente, plus la réactance sera forte.”
3 éléments clés du discours sont mis en lumière : Simplicité, Transparence et Efficacité. Tout ce que les insatisfaits reprochent au syndic traditionnel.
Nous sommes face à une démonstration de force permanente par la mise en avant des bénéfices clients. Et ce n’est pas la marque qui l’insuffle, ce sont ces utilisateurs.
Les possibilités de la plateforme sont à peine évoquées. La marque parle peu du produit. Encore moins d’innovation. Et la technique n’est jamais présente.
Lorsque Matera évoque les fonctionnalités, elle les sublime dans leur environnement quotidien, se permettant de donner aucune explication. La valeur du produit augmente, d’autant que les prix sont absents du site.
Dans sa quête de désirabilité, la marque incite les plus curieux à la contacter.
Une stratégie qui peut rappeler celle d’Apple.
Je terminerai sur le design qui souligne la promesse de Matera.
Il apporte une touche friendly, cool pour un sujet loin d’être sexy. Ce graphisme épuré, où les figurines dominent, évoque un monde enfantin, accessible, facile à comprendre. L’univers graphique appuie cette simplicité voulue.
Utiliser Matera, c’est un jeu d’enfant !
La controverse pour faire parler de la marque.
“Si vous voulez un public, engagez une bataille.”
Vous vous rappelez de Benetton ? La marque spécialiste dans la controverse ?
A chaque campagne, l’entreprise italienne frappait un grand coup. Sous l’oeil d’Oliviero Toscani, les visuels poussaient le public à réagir, ce qui engendrait un débat constructif pour la marque.
En 2018, c’est au tour de la marque à la virgule de la tenter. Elle se risque à prendre position sur un sujet politique : les violences policières.
Nike choisit Colin Kaepernick, un personnage controversé pour une campagne osé.
La pub TV est visible sur YouTube.
Qu’ont-ils en commun avec Matera ?
Cette campagne de communication a tout pour soulever les foules et faire parler. Le fonctionnement du syndic de copropriété est un sujet qui divise l’opinion. Mensonge, vérité, simple coup de com ?
Cherchons par définir la vérité. C’est une valeur absolue.
Elle est au-delà de l’opinion, de par son caractère universel. Nous la partageons tous. La marque défend la vérité qui s’oppose au mensonge. Les détracteurs de Matera font partie de la 2ème catégorie : ceux qui sont dans le déni.
La vérité doit être dite, Matera le sait et utilise la controverse pour le faire.
Et c’est sur cette part de “vérité” que la marque créée le débat. Elle ne parle pas au nom d’elle, ce sont les insatisfaits qui parlent pour elle.
La publicité utilise des “vérités” évidentes et partagées pour les détourner avec humour. Le ton décalé apporte de la fraîcheur. Nous sommes en rupture avec l’approche habituelle de ce secteur d’activité.
C’est une campagne qui va créer du conflit, qui cherche cet affrontement.
Quelles sont les retombées ?
C’est une totale réussite, pour plusieurs raisons.
La campagne fait s’affronter 2 camps :
- Les pro-Matera, ceux qui défendent la marque,
- Les anti-Matera, ceux qui l’attaquent.
Les premiers justifient leur parti-pris en mettant avant l’utilité de la plateforme, voire même, la nécessité de revoir le modèle des syndics traditionnels.
Pour les seconds, la campagne dénigre la profession et fait du mal aux acteurs de la gestion immobilière.
C’est une question sociétale qui divise l’opinion. Et c’est dans cette faille que Matera vient se glisser.
Les médias généralistes en parlent :
Les journaux cherchent la polémique, donnant encore plus d’écho à la marque.
Dans un article du Figaro, Mr Géraud Delvolvé, délégué général de l’Unis (Union des syndicats de l’immobilier), s’insurge :
« Les syndics se sentent injuriés, […]. C’est une campagne « place publique » d’opportunité liée au changement de nom de la société et à la tenue d’ici fin juin d’assemblées générales de copropriétés »
Les réseaux sociaux dans la bataille :
D’un côté, les pros…
… et de l’autre, les antis.
Sur Twitter, des internautes reprennent les visuels de la campagne accompagnés d’un #merciSyndic (le hashtag d’activation digitale).
Et d’autres, cherchent à contre-attaquer
La réponse de l’UNIS ne se pas fait attendre.
En stratégie, une chose est certaine :
Si vous défendez votre position en utilisant les mêmes arguments que votre challenger alors vous avez déjà perdu la bataille (et toute crédibilité).
Quels sont les ingrédients du succès de Matera ?
Nous avons vu que l’essence même de la start-up se basait sur un besoin profond. Le sujet des syndics de copropriété, tant discuté, divise l’opinion. Ces notions de controverse et de preuve sociale rendent la société inarrêtable.
En proposant un produit qui plaît (pas forcément sexy) et qui répond aux attentes des clients, Matera peut compter sur ses ambassadeurs.
Redonner le pouvoir aux copropriétaires, c’est rendre son service hyper désirable. Ce sentiment se renforce en période économique incertaine où nous voulons maîtriser les produits et services qui nous entourent. Et peu importe si cela reste une illusion.
Finalement, toute la communication se repose sur la preuve sociale (testimoniaux sur le site, page témoignages sur le site, les avis Google, les éléments de langage repris dans les médias). C’est un parti-pris fort qui marche et qui facilite le bouche à oreille (digital ou offline).
Autre particularité : une réelle volonté de ne jamais mettre le produit en avant. Technique, innovation, conception sont absentes. En revanche, l’insatisfaction et la liberté de reprendre le contrôle restent les éléments clés du discours.
On parle de copropriété, c’est loin d’être un sujet sexy. Chez Matera, toute la com (éditorial, design) est orientée pour rendre la marque accessible, proche de ses clients et cool.
Enfin, se faire connaître du grand public via l’usage de la controverse, est un vrai coup de poker. Sa légitimité (elle parle d’un sujet qui est au coeur de son ADN), sa sincérité dans les propos et sa connaissance de la question sociétale lui donnent les atouts pour réussir.
Pour aller plus loin :
J’ai trouvé la com de la marque remarquable. Pour amplifier son positionnement, Matera pourrait, par exemple, mettre en place une stratégie de Content Marketing plus poussée.
Changer de modèle de copropriété est un processus qui peut prendre du temps. Cela nécessite de la réflexion et les délais peuvent s’allonger.
Alors, pourquoi pas réfléchir à une approche relationnelle basée sur du marketing automation pour nourrir de bon contenu les prospects jusqu’à leur décision définitive. Récupérer les adresses mail pourrait se faire via un contenu premium de haute facture !
Merci.
Suivez-moi !
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