David Perell, fondateur de Write of Passage, a déclaré: “Le travail à distance conduit à des entreprises centrées sur l’écriture au lieu de celles centrées sur la parole.”
Je vous partage mon retour d’expérience sur le déploiement de la culture de l’écrit au sein d’une startup. Avec le développement du remote, comment passer d’une entreprise guidée par la parole à celle centrée sur l’écriture ?
Je vous livre dans cet article ce que j’ai appris.
Je travaille dans le management de produit dans une startup de la proptech. J’ai beaucoup de latitude : je peux creuser des sujets et lancer des chantiers qui dépassent la simple fiche de poste.
Lors de mes premiers mois, certaines choses m’interpellent. Le soir, j’ai l’impression de manquer de temps. J’enchaîne les réunions, réponds à de nombreuses sollicitations pour un résultat moyen.
Lorsque je cherche une documentation, je trouve mes réponses sur Slack. Est-ce une plateforme adaptée à la centralisation des documents internes ? Encore plus gênant, un collègue doit s’arrêter de travailler pour m’expliquer une fonctionnalité ou une règle métier.
Et le plus surprenant, c’est que cela ne semble pas déranger les équipes. C’est même l’inverse, c’est la norme. Être interrompu alors que tu es en pleine concentration ne doit pas être une normalité, plutôt un manque de respect pour ton travail.
Chaque jour, je note le nombre de questions qui interrompt le travail des uns et des autres. Pouvez-vous visualiser les heures perdues pour des interrogations qui pourraient être pensées en amont et traitées par écrit ?
Après avoir tenté de mettre en place la première brique de la culture de l’écrit, je me suis rendu compte que l’évolution allait prendre du temps.
L’oral dans un monde “remote”
Lorsque la culture du savoir est basée sur l’oral, vous devez faire avec les inconvénients : oublis, manquements, manque de détails, travail moins approfondi, inefficacité, etc…
Loin d’être un gourou de la productivité, j’aime avoir du temps pour rester concentré sur des tâches à haute valeur ajoutée. La documentation orale ne le permet pas. Je me sens heureux quand je suis focus sans être dérangé. Il est évident que travailler en discontinu empêche votre entreprise de tirer le meilleur de votre réflexion.
C’est effarant de savoir que la culture de l’oral amène à une déperdition d’informations. Lorsque vos équipes passent du temps à faire mûrir des idées, à les décortiquer, pourquoi ne pas capitaliser sur ce travail ?
Enfin, l’oral ne permet pas de rentrer dans les détails. C’est une carence intellectuelle dans un monde où la concurrence peut se jouer dessus. Passer par l’oral donne l’impression de gagner du temps, d’être plus précis, de mieux faire passer son message. Plus qu’un leurre, c’est une vision erronée.
Cette mauvaise habitude est gourmande en temps, en concentration et ne crée pas les conditions optimales pour construire des assets solides.
Mais je précise que l’oral n’a pas que des inconvénients.
Selon cet article d’Harvard Business Review, les équipes performantes ont tendance à plus facilement s’appeler pour renforcer leurs relations et éviter les malentendus qui pourraient être interprétés à l’écrit.
L’oral amène donc à des interactions plus riches entre membres d’une équipe.
Pourquoi la culture de l’écrit est-elle nécessaire ?
Avant d’attaquer le sujet sur les raisons d’une culture de l’écrit pour faire face à un monde concurrentiel de plus en plus rude, je vous expose quelques principes sur l’écriture.
Écrire permet de mieux réfléchir. Nos pensées sont plus solides et plus polies que les idées brutes dans nos têtes.
Pour générer des idées, l’écriture est puissante. Comme dans le sport, il faut pratiquer pour devenir bon. Le premier jet permet de libérer nos pensées. L’itération les affine jusqu’à obtenir le résultat espéré.
Une idée fragile à l’oral peut devenir robuste à l’écrit. Elle traverse les barrières de la honte, du paraître idiot pour devenir intéressante et obtenir le statut d’innovation.
Finalement, écrire permet d’être plus concis et pertinent, d’avoir plus de temps pour créer du sens.
Pour survivre dans un environnement hostile, l’entreprise doit se muer en une organisation apprenante, résiliente et capable de capitaliser sur son savoir. La transformation peut être impulsée grâce à l’écrit.
Une entreprise qui perdure est une entreprise apprenante. Ses membres cherchent à en savoir plus tous les jours, en partageant une vision, un but, une finalité. Elle réussit à co-construire des aspirations les plus élevées. Elle est organisée afin de pousser ses individus à la maîtrise personnelle, au développement personnel.
Pour s’adapter à son environnement, une entreprise doit agir en favorisant l’apprentissage individuel et structurel.
Favoriser l’apprentissage par le collectif
Pour transformer une organisation, le premier pilier est de favoriser l’apprentissage par le collectif.
Cela nécessite d’installer au moins 3 bonnes pratiques :
- récupérer les questions clients fréquentes
- consigner les réponses apportées par écrit
- documenter les pratiques métier pour y répondre.
Ces pratiques permettent d’enrichir la base de connaissance partagée en interne et d’accélérer la formation de nouveaux employés.
Et si votre startup connaît une forte croissance, c’est utile pour l’onboarding des nouvelles recrues.
Mais en amont de ces pratiques, il faut chercher un moyen simple d’aider les équipes à apprendre en créant et documentant un processus clair pour la rédaction et la documentation interne.
Ce processus est itératif, il vise l’amélioration.
Il n’y a pas de solution unique pour devenir une entreprise qui pratique une rédaction et une documentation valables. Soyez patient ! Le test and learn est efficace pour voir ce qui fonctionne pour votre entreprise.
Partager le savoir et le rendre accessible à l’ensemble de l’entreprise
Comment faire ?
Vous pouvez procéder en 4 étapes :
- Centraliser l’information sur le même outil,
- Dédier des espaces de documentation : les documents finalisés et les documents de travail à durée de vie limitée,
- Créer un workflow de mise à jour des documents,
- Nommer un responsable pour garantir l’évolutivité d’un sujet.
Les objectifs sont :
- rendre les informations accessibles à l’ensemble de l’entreprise,
- faciliter la recherche pour les équipes,
- lutter contre les asymétries d’information.
On ne peut pas atteindre ces objectifs lorsque l’oral domine dans la transmission d’informations.
La documentation interne peut être une FAQ : elle doit répondre à toutes les questions de vos clients et révèle également les obstacles et opportunités potentiels.
Comment amener les équipes à lire vos écrits ?
Si l’écriture est la méthode de partage de connaissances alors le contenu doit être conçu avec soin. Lorsqu’une personne de l’équipe propose une idée, elle prend vie uniquement quand elle est développée à l’écrit.
Pour rationaliser le processus de rédaction et garantir un contenu facile à comprendre, l’équipe doit mettre des normes sur sa façon de documenter ses connaissances.
Documenter les idées importantes force à la clarté de la pensée.
Ces supports doivent être pensés pour rendre la documentation facile à lire et attractive. La structure est importante, personne ne doit la négliger.
Le visuel est primordial. La première impression détermine si la personne poursuivra sa lecture. La question à se poser est : « Comment amener les équipes à lire ce que j’ai écrit ?”
Enfin, la diffusion est essentielle. Les nouvelles idées se partagent sur des canaux appropriés pour faciliter le temps long plutôt que l’instantanéité. Vous pouvez être confronté à certaines barrières, notamment l’habitude des équipes à communiquer sur Slack à longueur de journée.
Les pensées transmises ainsi permettent à tous les acteurs de se donner le temps nécessaire pour réfléchir et les traiter. En favorisant le caractère asynchrone de l’écrit, votre équipe commente quand elle le veut.
Une meilleure communication.
Une écriture claire nécessite une pensée claire, ainsi les équipes investissent plus de temps à façonner leurs idées avant de les partager. L’ensemble de l’entreprise doit écrire plus fréquemment pour parvenir à plus d’efficacité.
Si l’écriture compte, faites-la compter.
Le temps de chacun est précieux, il est nécessaire de faire l’effort de rassembler des idées cohérentes par écrit. Plus l’écriture est claire, plus le message et l’intention sont clairs. Plus la compréhension est rapide, plus vous gagnez du temps.
Une forte culture de l’écriture et de la documentation est de plus en plus essentielle pour arbitrer les possibilités et faire de son mieux.
L’écriture encourage la rigueur et le détail dans la prise de décision. Les informations écrites sont moins susceptibles d’être mal interprétées que si elles sont partagées verbalement; vous pouvez être plus précis avec la langue.
Lorsque vous devez écrire vos idées dans des phrases complètes et des paragraphes hiérarchisés, cela vous force à structurer, à faire preuve d’une plus grande limpidité intellectuelle.
Gestion du temps, réflexion et exécution.
Le partage d’idées par écrit élimine le besoin de mises à jour verbales répétitives pour diffuser des idées et des informations.
L’écrit permet un travail individuel plus réfléchi : avoir des longues plages de concentration sans être interrompu. Le travail fourni est de meilleure qualité et la réflexion se concentre sur l’idée.
Les individus dans l’organisation se focalisent sur un plus petit nombre de tâches qui créent un maximum de valeur pour les clients. On élimine celles qui sont inutiles ou chronophages et qui ont un impact mineur sur le business.
Écrire permet de penser en MVP pour l’ensemble des problématiques de l’organisation.
Sous forme écrite, les connaissances peuvent être facilement revues et critiquées. Critiquer les idées écrites sans critiquer personnellement l’auteur. Toute l’équipe se consacre à prendre la décision du mieux possible sans attachement personnel aux idées.
L’individu a le temps de peaufiner ses idées avant l’exécution :
- elle est améliorée grâce à l’accès à toute l’information (capitaliser sur la documentation interne, mise à jour régulièrement)
- elle se déroule dans de bonnes conditions (penser et écrire les cas de figure pour limiter les interrogations).
La collaboration : c’est mieux à l’écrit qu’en réunion
Les réunions prennent du temps, coupent nos phases de concentration, apportent peu de valeur et mettent en avant les rhétoriciens, au détriment des idées.
Par ailleurs, c’est aussi une énorme perte financière (pour en savoir plus, Welcome to the Jungle a écrit un article sur le sujet).
Selon ce sondage de l’IFOP, les réunions sont souvent mal organisées, mal préparées, et trop longues pour en tirer un bénéfice.
Pour récupérer ce temps perdu, les propositions écrites peuvent être examinées en détail avant une réunion. La réunion se consacre uniquement à des questions spécifiques et à des prises de décision finale. Quel gain de temps et d’efficacité ! On réduit le temps de la réunion en allant direct au but.
Au lieu de perdre du temps à discuter d’une idée à moitié réfléchie, les équipes peuvent partager leurs réflexions sous la forme de documents écrits
L’écriture démocratise les idées et laisse la parole aux équipes. Plus de politique sur le lieu de travail, pas besoin de comptes rendus verbaux, des points 1:1 ou du présentéisme pour faire avancer les choses. Transparence et bonne documentation renforcent la confiance.
Selon Josh Bernoff : « Un leadership clair, exprimé par écrit, crée un alignement et augmente la productivité. »
Comment éliminer 80% de vos réunions ?
- Refusez les réunions.
- Traitez les points par écrit.
- Notez les engagements de chacun.
- Répartissez les actions.
Des exemples de la culture de l’écrit
Les réunions chez Amazon.
Débuter une réunion chez Amazon, c’est passer les 20 premières minutes à lire le mémo avant d’en parler. Chaque idée est étudiée et écrite.
Dans un monde qui évolue vite, prendre ce temps pour lire et réfléchir donne à Amazon le recul nécessaire à l’innovation et à la prise de décision.
Résoudre des problèmes complexes ne se fait pas dans l’urgence ou à l’oral, car adopter une approche analytique nécessite du temps pour apporter des solutions pertinentes.
Les mémos servent à persuader, via un argumentaire, que les idées sont intéressantes et méritent d’être débattues. Même si l’information est plus dense, aucun problème, nous lisons plus vite que nous parlons.
Avec une compréhension partagée, que l’on soit ou non d’accord avec le mémo, sa lecture ciblée met tout le monde sur la même longueur d’onde pour entamer les discussions.
Powerpoint est utile pour transmettre des données, condenser sa pensée, mais pas d’entrer dans la profondeur des idées.
Une présentation .ppt avec une mauvaise idée se vend mieux qu’un mémo avec une bonne idée. Dans Powerpoint, c’est le charisme qui se vend et non l’idée. Dans un mémo, l’idée l’emporte.
La structure séquentielle de Powerpoint n’est pas idéale pour résoudre des problèmes complexes. Alors que les mémos peuvent fournir une vue à 360°, une approche globale sur un sujet. L’analyse est de meilleure qualité.
Pour autant, Powerpoint est un support intéressant pour des sujets plus simples qui ne nécessitent pas la même rigueur intellectuelle.
Donner l’exemple, le cas de Stripe
La culture de l’écrit chez Stripe est un pilier essentiel de la startup.
Le PDG, Patrick Collison, écrit des mails comportant des notes de bas de page. Ses courriels sont structurés comme des documents de recherche, avec la mise en avant de l’information principale et les éléments périphériques relayés en bas de page.
Chez Stripe, les mails sont organisés avec des notes de bas de page. Le PDG a fixé les attentes et les employés s’efforcent de les respecter.
Comme Amazon, Stripe n’utilise pas de diapositives. L’écriture de mémo narratif est le mode de communication par défaut pour faire passer les idées.
Stripe est une entreprise technologique qui publie des livres complets. L’écriture est un art de vivre.
Stripe Press est la propriété de Stripe : ce site met en avant les idées de certains livres remis au goût du jour, réédités.
Conclusion
L’écriture est un pilier de l’excellence, et vous permet de faire la différence.
Les startups ont tendance à aller vite. Dans la précipitation, les équipes oublient souvent d’écrire, de prendre le temps de s’entendre et de se comprendre.
Faites une pause et prenez un peu de temps pour rédiger. Créez une culture de réflexion et d’écriture dans votre société. Votre produit, votre plan marketing, votre stratégie de contenu, votre business model et votre entreprise en général s’en porteront mieux.
Les entreprises pourraient commencer avec une seule équipe et faire de l’écriture une priorité au sein de cette équipe. Cela permet d’expérimenter et de déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas avant de suivre les apprentissages à plus grande échelle.
J’entends déjà les “nous n’avons pas le temps !”,… l’écriture est comme un investissement : elle amène des intérêts composés sur le long terme.
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